Meudon est une petite ville située à moins d’une dizaine de kilomètres de Paris et de sa Seine, mais trop loin de l’océan. Pourtant, en août 2021, les promeneurs attentifs aux soubresauts du monde qui les entoure et aux variations de l’atmosphère qui les nourrit pouvaient sentir l’air chargé d’iode et d’embruns lorsqu’ils longeaient les locaux de Quidam éditeur.
S’ils pouvaient transpercer les murs du bâtiment, furent-ils dotés des aptitudes d’Arzach, personnage créé par Mœbius, sous le signe duquel cette maison d’édition a été créée en 2002, ils auraient résolu le secret de ce qui ne pouvait s’expliquer par le changement climatique et son inéluctable montée des eaux.
Ultramarins, premier roman de Mariette Navarro, une dramaturge ayant mouillé sa très belle plume dans les eaux enivrantes de la poésie et les côtes chamarrées du théâtre, venait de sortir de presse. Il attendait sagement son heure, là, au 10 rue d’Arthelon, pour alléger les corps de ses futurs lecteurs des poids qui les écrasent et maintiennent leurs esprits dans l’étau du quotidien.
Nous y suivons un cargo de marchandises, têtard parmi tant d’autres, charriant des marchandises à travers l’Atlantique pour assouvir cette consommation frénétique sans laquelle, nous dit-on, le bonheur ne serait point possible.
Bal incessant de conteneurs colorés fendant l’océan à vive allure. Monde parfaitement huilé par les radars, les procédures minutieuses et les monceaux de paperasse qui ont remplacé le mélange d’exaltation, de peur et d’incertitude dont se nourrissaient tous les marins à une certaine époque.
Ne devrait-on pas s’accorder un pas de côté, un peu de hors champ, pour remettre du sel dans notre sang et nos vies ? Voici l’idée soumise à la commandante du navire. Et voilà, contre toute attente, qu’elle acquiesce. Et c’est ainsi qu’on s’arrête pour s’octroyer une baignade en pleine mer et, en plongeant, disparaître un temps là où le bourdonnement humain ne viendra pas nouer le dos et briser l’échine.
Cette parenthèse fermée, on essaie de reprendre ses automatismes pour écarter le doute en s’oubliant dans sa tâche. Mais des traces de rouille apparaissent, ici et là, dans les esprits des marins, et viennent perturber le voyage. Car, en détraquant ainsi la routine, en réintégrant dans le cadre qu’on a quitté brièvement, on a ramené ivresse et mystère.
Je m’arrête ici, vous invitant à vous embarquer dans la lecture de ce roman très élégant et fluide, au lyrisme fort bien dosé. Et, une fois de retour, sur la terre ferme de la réalité dont nous sommes tous les auteurs-acteurs, peut-être que vous aussi vous tenterez de prendre un chemin de traverse plutôt que celui, bien balisé, tout tracé, mais qui fleure bon le fricot.